Les Amitiés kurdes de Bretagne (AKB) ont envoyé pour la 20ème fois une délégation au Kurdistan de Turquie avec comme objectif de participer aux fêtes du NewrozNouvel an kurde (21 mars). More, le nouvel an kurde (21 mars) et d’observer le déroulement des opérations de votes des élections municipales (30 mars). Entre ces deux dates, les AKB ont pris rendez-vous avec des responsables politiques, syndicaux, associatifs, mais aussi avec les habitants d’un quartier populaire de Yenisehir (arrondissement de Diyarbakir), Ben u Sen, avec lequel elles se sont prises d’affection : la magie de la photo renversant les barrières de la langue, les AKB ont établi le contact à partir d’ateliers ouverts aux enfants du quartier.
Un entretien approfondi avec Selim Kurbanoglu, maire de Yenisehir et candidat à sa succession, a permis de présenter un projet d’édition d’un livre, de photos avant tout, sur la vie de ce bidonville, pauvre mais solidaire, avec une vraie vie de quartier. Ben u Sen, avec sa mauvaise réputation et ses maison auto construites et insalubres, est-il condamné à disparaître ? François, l’un des animateurs photographes avec son compère Gaël, était assez dubitatif mais les entretiens de Diyarbakir l’ont rassuré :
la mairie souhaite vraiment s’attaquer à l’insalubrité tout en relogeant les populations sur place pour ne pas détruire le tissu social. Mais sans l’aide de l’Etat ça va être très dur financièrement. Sauf si elle obtient de l’UNESCO le classement des remparts.
François doit rencontrer à ce sujet Murat Alokmen, responsable de l’urbanisme à la mairie métropolitaine. Murat Alokmen se rappelle qu’il est venu à Rennes en mai 2008 avec toute une délégation, pour rencontrer les services techniques de la ville, dans le cadre du projet de coopération en gestion urbaine concernant précisément Ben u Sen.
Gultan Kisanak va succéder à Osman Baydemir
La délégation, conduite par Marie-Brigitte Duigou, vice présidente des AKB, a été également reçue par Gultan Kisanak, députée de Diyarbakir, co-présidente du parti kurde BDP et candidate à la mairie métropolitaine de Diyarbakir pour succéder comme maire à Osman Baydemir, qui, après deux mandats à Diyarbakir, ne peut se représenter dans cette ville. Pour autant il se présente à Urfa. Le BDP a besoin de lui pour gagner la mairie métropolitaine de cette ville quatre fois millénaire (l’ancienne Edesse), peuplée de plus d’un million d’habitants et connue des juifs, des chrétiens et des musulmans pour être le lieu supposé de naissance d’Abraham. L’enjeu est d’importance.
Pour Diyarbakir, Rennes a une place à part
La ville de Rennes n’est pas une inconnue pour Gültan Kisanak : elle n’avait que 18 ans en 1979 quand les bus rennais sont arrivés à Diyarbakir mais elle s’en est immédiatement souvenue quand Marie-Brigitte Duigou lui a rappelé les liens anciens entre les deux villes :
sur ces 4 bus il était écrit ‘KURDISTAN’, ce qui nous a valu quelques soucis”, dit-elle en riant, mais d’ajouter sérieusement “pour nous les amis, c’est très important. La société kurde est très sociale et solidaire, c’est ce qui fait sa fierté. Les liens de coopération entre villes sont essentiels et il y a une place à part pour les amitiés fortes et anciennes comme celles qui perdurent entre Rennes et Diyarbakir.
Gültan Kisanak a résumé son programme pour la ville, rapporte Marie-Brigitte Duigou :
la politique sociale occupe le premier plan dans une ville où existe une grande précarité et du chômage. Or Diyarbakir est une ville jeune : 56% de la population a moins de 18 ans et seulement 1/3 sont étudiants. C’est la première fois qu’une femme sera maire de la métropole. Comme au BDP, les femmes sont appelées à y jouer un rôle essentiel. Cette politique s’exprime d’ailleurs à travers la coprésidence : chaque commune propose deux personnes, une femme et un homme, qui exerceront au même titre le pouvoir de maire. Il s’agit à la fois d’un acte de désobéissance civile puisque ce n’est pas inscrit dans la loi turque et d’une revendication de l’égalité des droits. Cette coprésidence, autorisée par les partis, est en pratique au BDP depuis 8 ans et elle a porté ses fruits, d’où la lutte pour que la législation évolue aussi pour les mairies. Gultan Kisanak veut faire de Diyarbakir, « une ville de femmes ». Sur les listes de conseillers, il y a alternance homme/femme.
Ben u Sen : on ne veut pas toucher à la structure sociale mais l’approche est difficile
La délégation a rappelé son engagement constant, depuis 20 ans, aux côtés des Kurdes et présenté à la future maire ses différents projets en cours comme celui concernant le quartier de Ben u Sen (“T’as pas vu mon quartier ?” commencé en 2012), le projet d’édition (cf. supra) qui sera un outil de communication et de support à une réflexion sur la question kurde, et le projet de concours d’affiches lancé dans le cadre de la convention des Droits des enfants.
Marie-Brigitte Duigou :
Gultan Kisanak a écouté avec beaucoup d’intérêt et a répondu concernant la réhabilitation du quartier de Ben u Sen : elle a parlé “d’approche difficile” : “on ne veut pas toucher à la structure sociale mais les maisons sont insalubres !” Elle a confirmé qu’une convention avec Toki (l’agence gouvernementale de l’habitat) “n’était pas un bon choix” et que la mairie n’avait d’ailleurs pas de convention avec Toki. Mais, il faut rappeler ici que la réhabilitation du quartier est liée à celle des murailles de la ville et que les décisions sont prises au niveau de l’Etat. L’affaire n’est décidément pas simple.
André Métayer