Leyla Zana, la plus connue au niveau international des député(e)s kurdes, a pris tout le monde de court en demandant audience au Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan. Figure emblématique de la résistance kurde, ayant déjà passé dix années dans les geôles turques et venant d’être condamnée à une nouvelle peine de dix ans d’emprisonnement pour “propagande en faveur du PKK”, elle a agacé quelques uns de ses amis en déclarant que seul Erdogan était capable de résoudre la question kurde. Les medias turcs se réjouissaient déjà en espérant voir enfin une faille dans le front uni de la résistance kurde. On se souvient qu’Öcalan lui-même avait suscité le même étonnement quand, au cours de son procès en 1999, il se posait en négociateur capable d’imposer la paix des armes, pour peu que les autorités du pays comprennent la nécessité d’entamer de vraies négociations.
L’entretien a eu lieu le samedi 30 juin et a porté sur les moyens de résoudre la question kurde. Le Premier ministre turc, au sortir d’une heure et demie de discussion, n’a pas été très bavard en dehors d’un laconique “rencontre productive”. Leyla Zana, par contre, s’est expliquée.
La posture irréaliste de chef de guerre
Je lui ai dit que les incarcérations en grand nombre et les procès sans fin étaient des sujets d’inquiétude pour la société toute entière qui avait besoin que le gouvernement fasse non pas des petits pas mais de grands pas en avant. Je lui ai dit que les politiques sécuritaires menées depuis des décennies étaient un échec et qu’il restait une voie qu’il n’avait pas encore explorée, celle de la négociation durable. Je lui ai proposé de reprendre le processus d’Oslo [rencontres entre les émissaires du gouvernement et du PKK] et d’assouplir les conditions de détention d’Abdullah Öcalan.
En réponse, le Premier ministre a appelé le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More à déposer les armes sans conditions. “Proposition complètement irréaliste” commente sobrement Leyla Zana : comment peut-on imaginer une reddition en rase campagne d’un mouvement de résistance armée qui tient l’armée turque en respect depuis près de trente ans, avec le soutien populaire que l’on sait ?
Les propositions concernant la langue kurde ne sont pas à la hauteur des enjeux
Il est de même complètement irréaliste de penser que l’autorisation de cours optionnels en kurde dans les écoles secondaires soit une “mesure historique” qui mettra fin au conflit, comme le proclame R T Erdoğan. Même le journal Zaman (la voix officieuse de la confrérie islamiste Gülen) juge cette décision tardive et insuffisante pour résoudre la question kurde. Quant à la résistance kurde qui fait de la reconnaissance de la langue une revendication majeure, elle juge cette décision scandaleuse et insultante, tellement éloignée de leur lutte pour une éducation en langue maternelle.
Rappelons que le combat pour une reconnaissance identitaire est au cœur des procédures judiciaires. Le procès des “151” de Diyarbakir, de janvier dernier, a été émaillé d’incidents suite au refus opposé à la défense qui exigeait de plaider en kurde. En rétorsion, le procès a été ajourné avec toutes les conséquences pour les prévenus en détention depuis de longs mois, certains depuis plus de 3 ans. Le procès des “205” qui s’est ouvert le 2 juillet à Silivia, dans la banlieue d’Istanbul, a démarré sur les mêmes bases. “Pour 99% des accusés, la langue maternelle est le kurde” plaide la défense. “Ici c’est la Turquie, il n’y a qu’une seule langue, c’est le turc”, rétorque le président du tribunal. Le ton est donné, les audiences sont suspendues jusqu’au 5 juillet.
André Métayer