Le 8 juin dernier, 22 personnes, dont 20 journalistes, étaient arrêtées à Diyarbakir. Après une semaine de garde à vue, 16 d’entre elles étaient envoyées en prison. La Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la Torture (OMCT) ont condamné ce nouveau stade dans la violation du droit à la liberté de presse et d’expression et ont appelé à la libération immédiate et inconditionnelle des journalistes détenus. Harcèlement judiciaire, détention arbitraire, arrestation et condamnation de dissidents kurdes, de défenseurs des droits humains et de journalistes, sont des pratiques courantes en Turquie, sous le prétexte fallacieux de « lutte contre le terrorisme ».
Aziz Oruç, un des 16 journalistes kurdes jetés en prison, rédacteur à l’agence Mezopotamya, avait déjà été arrêté et détenu pour des articles parus dans des publications sur les réseaux sociaux. Il a réussi à faire parvenir une longue lettre à l’agence Bianet, pour crier à l’injustice, dont voici quelques extraits parus sur le site Kurdistan au féminin.
Nous sommes journalistes, nous sortirons de prison et écrirons à nouveau
La crise économique en Turquie s’aggrave, le pouvoir d’achat de la population baisse et le chômage augmente de jour en jour. La pauvreté est endémique, l’incertitude fait boule de neige, des élections se profilent à l’horizon et les partis politiques montent en scène. Mais il est important de noter que nous pouvons déterminer notre propre destin et ne pas tout laisser aux politiciens…. Les politiciens qui se dirigent vers les élections voient le problème fondamental du pays comme une « crise économique » et agissent en conséquence, mais nous ne devons pas oublier que les problèmes fondamentaux du pays sont en fait le manque de démocratisation, la restriction des libertés et les problèmes des droits humains. Il n’est pas possible que le facteur bien-être s’améliore ou qu’il soit mis fin à la crise économique dans un climat dominé par l’oppression et la restriction des libertés. L’un des fondements fondamentaux de la démocratie est la liberté de la presse… Mais malheureusement et avec tristesse, je dois dire qu’il est très difficile de parler de la liberté de la presse en Turquie… les journalistes continuent d’être emprisonnés, menacés et censurés… Les seize journalistes, dont je fais partie, ont été placés en garde à vue le 16 juin. Nous avons été injustement emprisonnés pendant deux mois. Il y a une ordonnance de secret sur les procédures judiciaires. Et comme notre procureur a été promu après nous avoir mis en détention provisoire, il n’y a même pas de procureur pour dresser notre réquisitoire…
Alors que j’écris ces lignes en regardant mon petit bout de ciel grillagé et barré de fer à travers le cadre de la fenêtre, une nouvelle est arrivée… : « La Société des journalistes de Turquie a décerné son prix annuel aux 16 journalistes détenus à la prison de Diyarbakır ». …. Nous adressons nos sincères remerciements à tous ceux qui sont solidaires avec nous. Nous devons rester forts dans notre solidarité ensemble.
A notre connaissance, 38 journalistes sont détenus, à ce jour, en Turquie. Dernier fait en date du 12 août, la photojournaliste kurde Zeynep Kuray a été violemment interpelée, mise en garde à vue et placée en détention alors qu’elle couvrait, à Istanbul, une manifestation sociale : des travailleurs d’une entreprise d’un promoteur immobilier géré par l’État, du groupe YDA, protestant contre les conditions de travail et de salaires. Zeynep Kuray faisait partie des 36 journalistes et professionnels des médias arrêtés le 24 décembre 2011 dans le cadre du procès connu sous le nom de « KCKUnion des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan), fédération des organisations kurdes en Turquie. More presse ». Elle avait été placée dans la prison pour femmes de Bakırköy jusqu’au 26 avril 2013 pour « appartenance à une organisation terroriste armée ».
Gökhan Durmuş : “La convergence des luttes est inévitable”
Le syndicat des journalistes turcs (TGS) a accueilli en juin dernier à Izmir l’assemblée générale de la Fédération européenne des journalistes (FEJ) et Gökhan Durmuş, son président, revient pour « Témoins », la revue trimestrielle du syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT) sur la situation des journalistes en Turquie :
La Turquie est depuis de longues années dans l’actualité avec ses journalistes en prison. Le gouvernement voit le journalisme comme un crime et punit à chaque occasion les journalistes. Actuellement, en Turquie, il y en a vingt-trois en prison [ndlr : + les 16 emprisonnés à Diyarbakir]. Avec la pandémie, les conditions dans les prisons ont empiré. Les détenus ont eu des difficultés pour voir leur famille. Un lourd isolement a été mis en place, sous prétexte de Covid. Les conditions ne se normalisent que depuis peu. Depuis un an, il y a eu une baisse du nombre de journalistes détenus mais on ne peut pas dire la même chose pour le nombre de journalistes jugés et condamnés. Les journalistes sont presque tous les jours obligés de défendre leurs papiers devant les tribunaux. Ils essaient de continuer de faire du journalisme, sous la menace de condamnations à de longues peines de prison ou à des amendes élevées. Certains des journalistes relâchés retournent à leur travail, mais d’autres s’orientent vers d’autres métiers. La raison de cela tient au rétrécissement du secteur et à la difficulté de retrouver du travail à cause de leur condamnation.
André Métayer