Emrullah Cin est sorti de prison le 3 février dernier. Il avait été l’une des premières victimes des grandes vagues d’arrestations et d’incarcérations qui ont suivi les élections locales de 2009. L’autocrate Premier ministre de Turquie ne pouvait en effet accepter la montée en puissance du parti pro-kurde DTP, qu’il a fait d’ailleurs interdire dès le mois de décembre de la même année – et que les Kurdes ont immédiatement remplacé par le BDP – au motif « d’intelligence avec une organisation terroriste. » Emrullah Cin, après deux mandats comme maire de Viranşehir, avait cédé son fauteuil, dans le cadre du turn-over institué par le parti, à Leyla Güven, qui a été élue au Conseil des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe avant d’être l’objet, elle aussi, d’une procédure judiciaire le 18 octobre 2010 et mise en détention en décembre de la même année. Tous les deux, ainsi que notre amie Gülcihan Simşek, ancienne maire de Bostanici, étaient parmi les 151 inculpés du fameux procès sans fin de Diyarbakir qui s’est ouvert le 18 octobre 2010 et qui dure encore.
Emrullah Cin, maire de Viranşehir
Quand, en 2002, Emrullah Cin, a accueilli comme maire de Viranşehir une délégation de la Fédération mondiale des Cités unies (FMCU), composée de représentants des villes de Rennes, Brest et Douarnenez, il a présenté ainsi sa ville :
Viranşehir, dont la création date de 2750 avant J.C., se situe dans le nord de la Mésopotamie, au sud-est anatolien de la Turquie. Cette ville, très imprégnée des coutumes féodales, est une véritable mosaïque de culture et de religion. Sa population, majoritairement d’origine kurde, cohabite non seulement avec une population importante de souche arabe et de confession musulmane mais aussi avec de nombreuses minorités ethniques et religieuses telles que les Yezidis (adeptes de Zarathoustra) et assyriens. Bénéficiant de terres très fertiles, son économie repose essentiellement sur l’agriculture. Ses industries ne vont jamais au-delà de la production artisanale et agricole, c’est pourquoi le chômage est en train de prendre une dimension sans précédent : près de la moitié de la population active se trouve sans emploi et nombreux sont ceux qui quittent la ville durant 6 mois à la recherche de travaux saisonniers.
Des projets ambitieux et des réalisations innovantes
Une équipe du festival de cinéma de Douarnenez, qui avait comme projet de consacrer l’édition 2003 au cinéma kurde, a aussi rencontré Emrullah Cin et, comme la délégation de la FMCU, a été impressionnée par les initiatives citoyennes impulsées par la municipalité et son maire. Il s’agissait déjà de faire participer les citoyens dans des domaines différents comme la voirie, les espaces verts, la santé. Le projet de développement sanitaire et social était particulièrement ambitieux d’autant plus que l’arrivée massive de réfugiés entraînait l’apparition d’une urbanisation sauvage et créait de nouveaux problèmes sanitaires et sociaux. La campagne d’information et de planification familiale, avec distribution gratuite de produits contraceptifs, répondait à la carence à ce sujet du Ministère de la Santé. Emrullah Cin devait venir à Douarnenez parler de la démocratie participative mais les autorités turques lui ont refusé l’autorisation de quitter le territoire.
Emrullah en campagne
Après cette longue captivité, l’infatigable Emrullah Cin a retrouvé sa femme et ses deux jeunes enfants, mais pas pour longtemps : il a cédé à l’aimable pression de ses amis et accepté d’être le candidat du BDP à la mairie de Viranşehir, en duo avec Filiz Yılmaz, tous les deux enchainent réunions sur réunions, conférences sur conférences.
Nous, les femmes, nous nous battons pour une vie libre. Nous devons être actives dans tous les domaines de la société. Mon combat, mon objectif n’est pas d’occuper le fauteuil de maire pour moi, mais pour vous toutes
martèle Filiz Yılmaz lors d’une conférence de presse organisée au Centre des Arts et de la Culture de Viranşehir, l’une des réalisations du projet de développement voulu par Emrullah Cin.
L’ancien et futur maire de Viranşehir, répondant aux questions des journalistes, se prononce sur la liberté de la presse :
la presse est le miroir du peuple. Le public a droit à une information correcte mais l’écriture doit être libre et nul ne doit avoir le monopole de la presse. C’est à nous, les hommes politiques, de montrer le bon exemple.
Interrogé sur ses années de prison, il dit ne cultiver aucun sentiment de rancune. Emrullah se projette déjà vers l’avenir.
André Métayer