Paix au Kurdistan : j’ai fait un rêve, mais le réveil est brutal

J’ai fait un rêve : je suis à Genève, au sein du Palais des Nations, à l’Office des Nations Unies (ONU), là où se tient, sous l’égide de l’Union européenne (UE), une importante réunion à huis-clos entre belligérants qui s’affrontent depuis 1984 au sein de la Turquie. Les participants, en présentiel et en distanciel, sont en pleine négociation.

Lutte armée et libération des détenus

‘‘Déposez les armes ‘’ martèle la délégation turque qui en fait un préalable, alors que, pour la délégation kurde, il s’agit d’une conclusion au terme d’un traité signé entre les deux parties. Un compromis vient d’être trouvé : une trêve avec effet immédiat sous le contrôle de l’Union européenne  à l’initiative de cette proposition. 

La suite devient inaudible… l’image se brouille …et puis … je suis de nouveau là, invisible, en distanciel, alors que se discute un point concernant les détenus. La libération immédiate est demandée par la délégation kurde alors que cette question, pour la délégation turque, doit se régler progressivement en laissant aux tribunaux le soin d’examiner chaque cas, au regard des accords qui seraient trouvés au terme de cette négociation. La délégation de l’UE pèse de tout son poids en proposant, la trêve étant actée et respectée, de retirer immédiatement le PKK de la liste des organisations terroristes, ce qui aurait comme effet immédiat de rendre libérables tous les détenus condamnés pour des faits ‘’en relation avec une organisation terroriste’’. En réponse à la délégation turque qui juge cette proposition inacceptable, la délégation de l’UE s’engage, en contrepartie, à reprendre les négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, dont personne ne conteste l’intérêt pour un pays en quête de stabilité financière. Et d’énumérer pêle-mêle les accords industriels, commerciaux et de défense, les échanges tant sur le plan de la culture, de la recherche, que du ‘’renseignement’’, sans parler du renforcement de la position géostratégique de la Turquie vis-à-vis de ses concurrents. Une Turquie dans l’Europe ! Oui, tout est possible au terme d’une réconciliation turco-kurde. Le mot est lâché : réconciliation.

Réconciliation

Réconciliation ! Les membres des délégations s’interpellent : réconciliation ? Oui mais à quel prix ! Oubliées les rancœurs ? Oubliés les souffrances, les deuils, les disparitions, les blessures, les tortures, les humiliations, les spoliations, les règlements de comptes, les années de prison, d’exil, de peur ? impossible. Pardonner ? Difficile mais nécessaire. La réconciliation est à ce prix… pour ‘’une paix juste et durable’’ semblent répéter les membres de la délégation de l’UE,  en prenant l’exemple de la réconciliation franco-allemande, à des interlocuteurs qui s’agitent, protestent puis semblent accepter d’examiner des propositions concernant une loi d’amnistie générale, une révision constitutionnelle réaffirmant l’unicité de la République de Turquie ‘’ un Etat de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l’homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice’’ et garantissant les nouveaux droitsculturels et politiques issus des accords de cette négociation. On parle aussi de nouveaux droits pour les collectivités locales… Je me retire sur la pointe de l’oreiller. Oui, j’ai rêvé. Le réveil est brutal.

Le réveil est brutal

Les nouvelles me ramènent à la réalité : Le gouverneur de la province kurde de Diyarbakır (Amed) vient d’interdire le slogan « Jin, jyan, azadi » (femme, vie, liberté) au motif que c’est un slogan de propagande d’une organisation ‘’terroriste’’. Les autorités turques viennent de saisir les municipalités de Dersim (dirigée par le DEM) et d’Ovacık (dirigée par le CHP). Condamnés à de lourdes peines de prison, Cevdet Konak et Mustafa Sarıgül, respectivement co-maire de Dersim et maire du district d’Ovacik, ont été destitués et remplacés par le préfet de la région pour le premier et le sous-préfet du district pour le second. A vrai dire, Erdoğan continue la guerre qu’il avait déclarée aux maires kurdes, voilà plus d’une décennie. Plus d’une centaine avait été destituée et remplacée par des administrateurs à sa botte. Et, depuis les dernières élections de mars dernier, il s’en est déjà pris aux maires DEM (troisième force au parlement turc) de Hakkari, Mardin, Batman et Halfeti, au maire CHP d’Esenyurt, élu avec les voix kurdes dans cet important arrondissement d’Istanbul. Et pendant ce temps, l’Union européenne regarde ailleurs, alors qu’elle a les armes pour amener le président Erdoğan à la table de négociations et les arguments pour arriver à la conclusion d’accords dont il pourrait tirer quelques fiertés et quelques avantages. L’Union européenne aussi en sortirait grandie !

Tout espoir n’est pas perdu. La combativité des Kurdes est intacte, comme le montrent les manifestations à Van, à Diyarbakir, à Hakkari, à Dersim, pour défendre leur maire et la démocratie. Le Conseil de Paris, lors de sa séance de novembre, a adopté une résolution condamnant fermement la répression des maires kurdes en Turquie et exprimant sa solidarité avec leurs luttes démocratiques. Un groupe d’amitié kurde vient de se recréer au Parlement européen, fruit du travail intelligent de lobbying de nos amis kurdes. Il est composé de députés européens allemands, italiens, espagnols, portugais, suédois, autrichiens, danois, grecs (mais aucun français), appartenant à différents groupes politiques : La Gauche (GUE/NGL), Les Verts/Alliance libre européenne (ALE) et l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D). L’une des décisions prises par ce groupe d’amitié kurde est d’envoyer une délégation du Parlement européen rencontrer Abdullah Öcalan. Appel est lancé en direction des députés français membres du groupe d’amitié kurde de l’Assemblée nationale (orphelin de ses deux co-présidents) pour qu’ils prennent des initiatives analogues.

André Métayer