Pari gagné pour le KNK : le Kurdistan rassemblé à Paris

“Historique” est le mot prononcé par les représentants du Congrès National du Kurdistan (KNK) à propos du colloque qui a réuni à Paris une quarantaine de partis et d’organisations politiques représentatifs des aspirations des Kurdes du Kurdistan oriental (Iran), occidental (Syrie), sud (Irak), nord (Turquie) et de la diaspora. “Unité”, “Solidarité” mais aussi “Diversité” ont été les mots prononcés en boucle par un panel d’organisations et de personnalités venus de tout le Kurdistan éclaté entre quatre pays mais aussi de France, d’Allemagne et même de Moscou.
Ouvert par Bernard Morin, ambassadeur de France, présidé par les vice-présidents du KNK (Nîlûfer Koç et Bengi Haco), et Rojan Hazim, écrivain, ce colloque a tenu toutes ses promesses. Parmi les personnalités kurdes les plus connues présentes au colloque, qu’il me soit permis de nommer Tahir Kemalîzade, président du KNK, Remzi Kartal, président de Kongra-gel et président de l’Assemblée Générale du KCK, Ahmet Türk et Aysel Tugluk, députés kurdes de Turquie (BDP) et co-présidents du Congrès pour une société démocratique (DTK), Asya Osman, co-présidente du Parti de l’Union démocratique (PYD) le principal parti kurde syrien. La représentation politique française n’était pas absente : Patrick Margaté (PCF), Jérôme Gleizes (EELV) sont intervenus au nom de leur parti. Léon Hovnanian, maire-adjoint (UMP) de Meudon accompagna à la tribune Antoine Bagdikian, président de l’Association Nationale des Anciens Combattants et Résistants Arméniens. On nota aussi la présence de Meral Jajan, maire-adjointe (P.S.) de Creil. François Pupponi, député-maire P.S de Sarcelles, qu’accompagnait Ali Soumaré, conseiller régional d’Ile de France, avait aussi exprimé sa solidarité avec les revendications kurdes lors de la réception donnée, la veille, au siège de l’Académie des arts et de la culture, rue d’Enghien à Paris.

Un grand absent

Des grands absents étaient dans toutes les têtes : Abdullah Öcalan condamné à la prison à vie, dont le nom fut évoqué à la tribune, et le parti dont il est le président, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Leur influence et celle de sa branche armée (HPG) dépassent les limites du Kurdistan de Turquie. Plus que jamais apparaît comme particulièrement injuste l’ostracisme qui frappe encore aujourd’hui un PKK à la crédibilité inoxydable.
L’objet du colloque était de confronter des positions des uns et des autres concernant la question du Kurdistan et notamment celle concernant le Kurdistan occidental [Kurdistan de Syrie]. Après un long et fructueux débat, un comité de liaison sur la question kurde en Syrie a été formé et ses propositions validées par l’assemblée. Une coordination de 15 personnes représentative des partis politiques et des organisations civiles présentes a été mise en place.

Unité

Tous les orateurs ont insisté sur la nécessité d’une unité nationale et se sont référés aux accords d’Hewler [Erbil] passés en juillet 2012 sous l’égide de Massoud Barzani, président de la Région autonome du Kurdistan d’Irak. Ces accords se sont traduits par la création du Haut Conseil National Kurde qui réunit la douzaine de partis kurdes syriens et le premier d’entre eux, le PYD, dont les forces armées (YPG) ont garanti la protection des populations kurdes en interdisant l’entrée des régions kurdes à tout homme en armes.
Cette position a été validée et figure dans les résolutions présentées par le Comité national de liaison

Les Kurdes du Kurdistan occidental souhaitent la mise en place d’un mode d’organisation propre à soutenir démocratiquement et pacifiquement leurs aspirations nationales, veulent une politique juste qui soit autant éloignée du régime de Damas que de l’opposition soutenue par Ankara, et réclament des garanties concernant leurs biens et leur sécurité.

Si le peuple kurde entend exercer pleinement ses droits et décider lui-même de son propre sort, il se sent également solidaire des minorités ethniques et religieuses (arménienne, syriaque, chaldéenne, araméenne…). Il lance, pour ce faire, un appel au peuple syrien afin de construire ensemble une Syrie démocratique, laïque et sociale, et rappelle “l’absolue nécessité d’impliquer ces minorités dans le processus démocratique d’autogestion”.

Solidarité

Les autres parties du Kurdistan ont été aussi appelées à la solidarité envers les Kurdes de Syrie qui ont souhaité un appui politique, diplomatique, économique, logistique visant à les protéger des menaces intérieures et extérieures : la résolution finale a acté cette demande :

Le Comité national de liaison estime que toute intervention militaire serait très dangereuse et demande aux populations de la région de résister aux attaques de la Turquie.
Le Comité national de liaison proteste contre les provocations des Etats voisins, notamment celles de la Turquie, et les condamne fermement.
Le Comité national de liaison dénonce les attaques du régime de Damas dont est victime la population syrienne.

La demande d’un soutien économique a été aussi entendue :

Le Comité national de liaison demande aux Kurdes du Kurdistan sud [Région autonome du Kurdistan d’Irak] d’ouvrir grandes les portes de la vie commerciale et économique et de contribuer ainsi à améliorer les conditions matérielles des Kurdes du Kurdistan occidental et à lutter contre la crise économique qui sévit actuellement.

Diversité

Le nombre des intervenants, leurs appartenances politiques et religieuses ont donné à ce colloque une richesse assez exceptionnelle, le tout se passant sous l’autorité tranquille et souriante de la présidente de séance, Nîlûfer Koç. Un soin particulier a été porté pour ménager les susceptibilités et traiter chaque représentation de façon égalitaire. Chacun a tenu des propos unitaires et solidaires, tout en marquant sa différence. Tel le représentant du parti kurde irakien Goran dénonçant ouvertement la corruption et le manque de démocratie au Kurdistan sud et terminant son intervention par “une dictature est une dictature ; une dictature kurde est une dictature”.
Nombre d’orateurs ont montré l’intérêt de laisser à chaque partie du Kurdistan le soin de dégager sa propre stratégie, tel représentant de tel parti kurde irakien ne souhaitant pas, par exemple, se mêler des affaires intérieures du Kurdistan occidental. Il a été fait aussi référence aux “conseils populaires” locaux mis en place dans le Kurdistan occidental qui constituent autant d’éléments propres à instaurer une dynamique et appel a été lancé en particulier aux femmes pour qu’elles s’engagent délibérément au niveau des quartiers, des villes et sur le plan régional et national.
Un vent de démocratie de la base vers le sommet a soufflé.
Antoine Bagdikian, au nom des 400 associations arméniennes en France a exprimé la solidarité arménienne et Mgr Ibrahim, métropolite syriaque orthodoxe, concluait, dans son message envoyé d’Alep, par : “La résistance c’est la vie. Alors, nous allons résister.”

Appel à la communauté internationale

Le Comité national de liaison demande aux démocrates et aux humanistes de la communauté internationale d’apporter leur aide aux Kurdes du Kurdistan occidental afin que soit officiellement reconnue, dans le cadre d’une Syrie démocratique, la légitimité d’un statut national pour le Kurdistan occidental fondé sur la reconnaissance d’une organisation autogestionnaire régie selon les normes et les principes démocratiques.
Le Comité national de liaison déplore l’interpellation par la police française, à la demande de l’Etat turc, d’un des diplomates kurdes, membre du conseil exécutif du KNK, Adem Uzun.
Le Comité national de liaison souhaite, au nom des relations amicales qui lient les peuples français et kurde, que l’Etat français ne s’engage pas dans une telle voie et rectifie cette injustice en libérant Adem Uzun dans les meilleurs délais.

André Métayer
18 octobre 2012