Face à la mairie de Diyarbakir, un important déploiement de militaires, barrières, policiers, canons à eaux et véhicules blindés dissuade les habitants de toute curiosité. Les photographes, les journalistes potentiels sont aussitôt questionnés, contrôlés. Dans la ville, internet a été coupé. L’arrestation le 25 octobre des deux co-maires, Gültan Kışanak et Fırat Anlı, a entraîné un mouvement de contestation de la part de la population civile. Une première manifestation, durement réprimée par les forces étatiques, a eu lieu mercredi. Aujourd’hui 29 octobre, la pluie et les contusions ne favorisent pas l’organisation d’un nouveau rassemblement. Malgré tout, quelques personnes se sont rassemblées pour chanter ensemble quelques slogans, prolongeant par le chant le fil de leur indignation.
Profitant de l’accalmie, les hauts gradés de l’armée, de la police et de la politique ont profité de leurs présences sur le terrain pour s’organiser une petite cérémonie. Ce 28 octobre est férié : on y commémore l’indépendance de la République de Turquie. Sur les lieux de cette sautillante sauterie, de nouveaux barrages ont été disposés pour sécuriser l’accès à la pelouse. Là encore, hommes en armes, char, canons à eaux… tout ce chapelet de peur récité géométriquement autour du carré formé par les arbres. Sur le trottoir d’en face, un bâtiment municipal est recouvert d’un immense drapeau Turc, suspendu depuis le toit jusqu’au premières marche de l’édifice. D’autres drapeaux de moindre taille sont disposés sur les fenêtres. D’autres encore sont suspendus en guirlandes de part et d’autre de la rue. D’autres encore distribués aux enfants pour qu’ils célèbrent chez eux cette fête à laquelle ils n’ont pas été invités. Dans le parc, personne n’est autorisé à entrer. Question de sécurité. Seuls les militaires en tenues de galas – sabres doré sur la hanche et galons impeccables – ainsi que quelques hommes politiques en costume 3 pièces se sont réunis près de la statue de Mustafa Kemal Atatürk pour chanter l’hymne national avec une main raidie sur le cœur. Ensuite, un discours sans micro dont la rumeur n’a pas dépassé les premières crosses de fusils. Enfin, ces hommes fiers sont allés se féliciter de cette belle organisation, buvant et fumant au fond d’un bâtiment sans fenêtre. Et pendant ce temps, le « peuple de Turquie » allait et venait, indifférent sous cette pluie d’octobre. C’est en son nom pourtant que les grands officiels paradaient aujourd’hui. « Peuple de Turquie ». Visage d’un pays qui n’a plus grand besoin de lui.
Visage
masque
rouage
ciment
mirage
anonyme
corps
alibi
sol