Elles viennent de Rennes et arrivent à Cukurca, Çele en kurde (phon. “djélé”), à l’extrémité-est de la Turquie, zone frontalière avec la Région autonome du Kurdistan d’Irak, le cœur débordant d’empathie. ” Pourquoi ne les avez-vous pas protégées ?” La phrase est directe, le ton est dur, le doigt pointé est accusateur. L’instituteur qui les apostrophe, militant politique, responsable local du BDP est jeune, véhément, avec l’air sévère des directeurs d’école sous la 3ème république. Bien sûr ce n’est pas à elles que s’adresse l’invective mais c’est dire que le ressentiment est grand, l’incompréhension totale : à travers l’assassinat en plein Paris des trois militantes kurdes c’est toute la politique de la France concernant la question kurde qui est sévèrement jugée. Au lieu d’encourager le processus de paix, engagé entre le gouvernement turc et le leader kurde, Abdullah Öcalan, la France continue à considérer le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More comme une organisation terroriste ! C’est inacceptable pour l’opinion kurde, celle entendue tant à Cukurca qu’à Diyarbakir.
Rojbin, Sakine, Leyla, Rosa, Leyla, Clara
“Vive les femmes leaders”, “Vive la résistance pour la libération des femmes ” peut-on lire en kurde sur l’affiche commémorant la journée du 8 mars, journée internationale de la femme , qui unit dans le même destin Rojbin, Sakine, Leyla et Rosa Luxemburg (militante marxiste, cofondatrice du Parti communiste allemand et assassinée à Berlin en 1919), Leyla Kasim (militante kurde d’Irak condamnée à mort et exécutée à 22 ans par le régime de Saddad Hussein en 1974) entourant Clara Zetkin qui, le 8 mars 1910, lors de la Deuxième Conférence Internationale des Femmes Socialistes à Copenhague, proposa la création de la Journée Internationale des Femmes. Moment d’explication nécessaire avant de pouvoir, sans arrière pensée, de part et d’autres, partager une souffrance commune, celle de la perte d’êtres chers, et une colère réelle, celle d’une impuissance face à la barbarie.
“Nous étions toutes émues, dira l’une d’elles, il y a d’un coté, sur le mur, cette affiche qui nous rappelle que, même dans un pays moderne et démocratique comme la France, des Kurdes, des femmes peuvent être assassinées et, sur le mur d’en face, des portraits d’enfants, de femmes, d’habitants de Çele, assassinés par l’armée turque, dont les corps furent jetés à la rivière. Ces murs m’étouffent, ce parallèle entre le temps et l’espace m’a rappelé que les souffrances sont les mêmes, d’une frontière à une autre… La même tristesse sur les visages et toujours les mêmes douleurs dans les paroles”.
“Pourquoi ne les avez-vous pas protégées?” Oui, pourquoi ? Ce reproche interpelle notre démocratie polie mais hypocrite : que faisons-nous pour forcer nos élus, notre gouvernement à faire toute la lumière sur le triple assassinat perpétré le 9 janvier en plein Paris et qualifié, dès le lendemain “d’horrible” par le président François Hollande? Quant à Manuel Valls, ministre de l’intérieur, il avait assuré que les autorités françaises étaient déterminées à faire toute la lumière sur cette affaire. Un présumé coupable a été interpellé aux premières heures de l’enquête et écroué. Quatre mois se sont écoulés, “l’affaire suit son cours” nous dit-on mais aucune information ne filtre. Un épais rideau de fumée s’est abattu sur Paris.
André Métayer