La Haute Cour pénale de Malatya a condamné Gültan Kışanak, maire destituée de Diyarbakir, à 11 ans et 3 mois d’emprisonnement pour “appartenance à une organisation illégale” et à trois autres années d’emprisonnement pour “propagande en faveur d’une organisation illégale”.
Au cours de cette 12ème audience, la Haute Cour Pénale a également prononcé à l’encontre de Sebahat Tuncel, co-présidente du Parti démocratique des régions (DBP), une peine d’emprisonnement de 9 ans et 9 mois pour “appartenance à une organisation illégale et à 5 ans et 3 mois pour faits de “propagande pour une organisation illégale”. Sebahat Tuncel avait été arrêtée en novembre 2016 alors qu’elle protestait contre l’opération politique menée contre les députés du HDPParti de la Démocratie des Peuples (Halklarin Demokratik Partisi). More. Elle n’a pu assister à l’audience car elle est en grève de la faim illimitée et l’objet pour ce fait d’une sanction disciplinaire. Sebahat Tuncel a gardé beaucoup d’amis à Rennes, notamment chez les jeunes femmes kurdes.
Gültan Kışanak, une figure emblématique de la lutte pour la dignité
On se souvient à Rennes de la visite de Gültan Kışanak en décembre 2015, invitée par Nathalie Appéré, maire de Rennes. Au cours de sa visite au Carré Lully elle découvrit, agréablement surprise, une exposition de photographies de François Legeait et Gaël Le Ny sur le quartier « gecekondu » (illégal) de Ben û Sen, aux pieds des murailles de Diyarbakır. Elle se rendit également à la Maison internationale de Rennes, se joignant à une assistance nombreuse réunie pour rendre hommage à Me Tahir Elçi, avocat, bâtonnier de Diyarbakır, lâchement assassiné. Les Amitiés kurdes de Bretagne ont eu à plusieurs reprises l’honneur d’être reçues par elle à Diyarbakir. On se souvient de cette femme souriante, dégageant une sérénité à toute épreuve.
Devant le tribunal, Gültan Kışanak n’a pas faibli : elle a exigé des excuses, elle qui a été incarcérée à l’âge de 19 ans et qui n’a pas plié devant le tristement célèbre Esat Oktay, le chef de la sécurité de la prison de Diyarbakir, un tortionnaire de la pire espèce infligeant des sévices dont les récits sont insoutenables : “je n’ai pas lu les hymnes qu’ils voulaient me forcer à lire et j’ai été soumise à la torture.” En décembre 2012, elle avait déjà dévoilé à Ahmet Hakan, journaliste à Hürriyet, l’une des tortures dont elle fut victime :
le directeur de la prison, le major Esat Oktay Yildiran, était là… Un jour, il est entré dans la cellule des femmes et j’ai été punie pour ne pas m’être levée. Il m’a mis dans la “niche du comté”, une minuscule hutte, non pas un jour, pas deux jours, pas un mois, j’y suis restée six mois, et tous les jours dans cette cabane où il était difficile de respirer, j’étais battue, torturée.
A l’audience, Gültan Kışanak, n’a rien perdu de sa pugnacité
Bulent Arinç [ancien premier ministre d’Erdoğan, fondateur de l’AKP], qui connait mon histoire, a déclaré que s’il avait été à ma place, il serait parti à la montagne [rejoindre la guérilla]. Mais je ne l’ai pas fait et je me suis levée. Je croyais que la persécution prendrait fin et j’ai gardé espoir de conserver toute ma lucidité. Je suis confrontée à des accusations qui ne peuvent en aucun cas être considérées comme des crimes. Et ce n’est pas le régime carcéral brutal de la prison de Diyarbakir qui résoudra les problèmes. Dans la cellule, à côté de la mienne, un homme a été battu et torturé à mort. Sa femme était avec moi et nous entendions ses cris. Cet État me doit des excuses, mais au lieu de cela, il met en avant des accusations que je n’accepterai jamais.
Gültan Kışanak, qui fut journaliste, a écrit en prison “La couleur pourpre de la politique kurde“, un livre qui vient de sortir et dont nous attendons la traduction en français.
André Métayer