Le tout répressif de la politique de RT Erdogan n’arrive pas à faire taire la contestation. Les découvertes de nouveaux charniers, les enquêtes sur l’emploi des armes chimiques et les “dommages collatéraux” de la guerre, le refus obstiné de ne pas reconnaître le génocide arménien, font que des voix de plus en plus nombreuses disent que la politique d’Ankara est de moins en moins tenable, malgré la mansuétude pour ne pas dire le soutien des Etats-Unis et des pays européens, dont la France. Les arrestations d’hier s’ajoutent aux arrestations d’avant-hier au point que la comptabilisation des interpellations et des incarcérations est toujours en retard sur la réalité. L’Etat veut des médias dociles et punit les rebelles, mais il reste des journalistes qui font leur travail. Les Kurdes sont tenaces. La preuve : RojTV n’aura cessé d’émettre que 5 jours, le temps de trouver un autre canal satellitaire. Les procès s’enlisent avec l’interdiction de l’emploi de la langue kurde et 22 prisons de type F connaissent des grèves de la faim. Une nouvelle forme de contestation fleurit sur les murs de Diyarbakir avec l’apparition du graffiti “AZADI” (liberté) : “Quelle que soit la froidure hivernale, le printemps reviendra” déclare Osman Baydemir, maire métropolitain de Diyarbakir, toujours l’objet de nombreux procès, inculpé de complicité avec une organisation “terroriste”, dont la liberté est entravée par une assignation à résidence avec interdiction à quitter le territoire.
Le tout répressif de la politique de RT Erdogan
Vers quelle issue peut conduire la politique répressive du gouvernement AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More pour régler la question kurde ? Le bras de fer n’a jamais été aussi dur et aucune ouverture ne semble se profiler pour imaginer une sortie de crise. A la différence des répressions conduites hier par les Kadhafi, Ben Ali, Moubarak et aujourd’hui par Bachar Al Assad, celle conduite par Erdogan est plus “scientifique”, plus professionnelle, mieux maitrisée, suivant en cela les conseils éclairés des services américains et européens : on réprime les manifestations non à la mitrailleuse mais à coups de matraques et au canon à eau. Les médias sont priés de taire les bavures et autres dommages collatéraux. Par contre on procède à des arrestations ciblées : les jeunes, les étudiants, les avocats, les journalistes et tous les cadres politiques, qu’ils soient élus, militants politiques et associatifs, personnels municipaux, en un mot toute personne susceptible de jouer un rôle dans l’organisation du KCKUnion des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan), fédération des organisations kurdes en Turquie. More qui fait très peur au gouvernement.
Les autorités accusent le KCKUnion des Communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan), fédération des organisations kurdes en Turquie. More (l’Union des communautés kurdes) qui chapeaute le mouvement politique kurde, de vouloir remplacer les institutions officielles dans l’est et le sud-est anatoliens, peuplés majoritairement de Kurdes, et de favoriser une insurrection dans ces régions (la Croix, 26/11/11).
127 831 détenus dont 4 530 femmes et 2 317 enfants.
Elise Massicard[[Elise Massicard, chargée de recherches au CNRS, et chercheuse associée à Sciences Po, pensionnaire scientifique à l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes (IFEA) d’Istanbul, responsable de L’Observatoire de la Vie Politique Turque (OVIPOT). Elle a publié en 2002 “La réforme carcérale en Turquie”.]] écrivait en 2002 dans la revue “Critique internationale” :
les 557 prisons turques sont surpeuplées avec plus de 70 000 détenus encore en l’an 2000 […] On estime le nombre de détenus politiques en Turquie à environ 13 000, dont 2 000 membres de différents groupuscules d’extrême-gauche, plus de 1 000 provenant de l’organisation islamiste armée HezbollahMilice chiite libanaise, alliée du gouvernement syrien. More et environ 9 000 du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, ce qui représentait déjà, d’après la responsable de l’OVIPOT,
un taux de détention politique bien supérieur à la moyenne européenne.
De 70000 détenus en 2000, la Turquie est passée à 103 235 détenus en 2008, 118000 en 2009, 122 404 en 2010, 129 000 en 2011.
Le Ministère de la Justice, dans sa dernière communication portant sur 418 prisons, note 127 831 détenus dont 4 530 femmes et 2 317 enfants. Il note aussi 36 462 détenus en détention provisoire.
Le nombre de détenus pour des raisons politiques n’est pas communiqué mais, selon les rapports de l’Association turque des Droits de l’Homme (IHD), il y eut en 2009 7 718 arrestations dont 1 923 emprisonnements et 7 100 arrestations dont 1 599 emprisonnements en 2010. Les chiffres pour 2011, encore provisoires et ne portant que sur les dix premiers mois, donnent pour la seule région kurde 5 331 arrestations dont 1 589 emprisonnements.
On peut donc en déduire que le nombre de prisonniers politiques en détention provisoire depuis 2009 est de l’ordre de 5 500. Le nombre d’interpellations avec gardes à vue dépasserait le chiffre de 20 000. Compte tenu des chiffres donnés en 2002, on peut estimer à 25 000 le nombre de détenus politiques déjà condamnés ou placés en détention provisoire dans l’attente d’un jugement.
IHD révèle d’autre part que l’administration pénitentiaire s’oppose à une remise en liberté pour raison médicales de 246 détenus gravement malades, dont le pronostic vital est pour certains engagé.
Les tribunaux disposant de compétences spéciales sont débordés
Selon la chaine de télévision CNN Türk, les tribunaux disposant de compétences spéciales mènent depuis 2007 plus de 1 000 enquêtes par mois ! Du jamais vu. 68 108 personnes ont eu affaire entre 2007 et 2011 à ces tribunaux dont le comportement est comparable, sinon pire, aux anciennes Cours militaires. Les femmes ne sont pas épargnées : selon SKM (Conseils des femmes socialistes), 700 femmes au moins ont été emprisonnées en 2011 en raison des leurs activités politiques. Nombre d’enfants sont également détenus dans les prisons de Turquie, souvent pour des raisons mineures, proteste Thomas Hammarberg, Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe :
Trop d’enfants sont détenus en Turquie. Cette situation est contraire aux normes internationales et européennes. Le placement d’enfants en détention devrait être une mesure exceptionnelle, utilisée uniquement en dernier ressort. L’extrême sévérité des peines infligées aux enfants en vertu de la Loi sur la lutte contre le terrorisme pour des actes considérés comme des infractions mineures dans d’autres juridictions pose un sérieux problème de proportionnalité entre la peine et l’effet recherché.
AZADI
La contestation ne faiblit pas et prend des formes nouvelles : les graffitis prennent possession des murs mais ce n’est pas sans risque pour le graffeur. L’un d’eux déclare :
le graffeur doit agir avec sang-froid, courir aussi vite qu’un sportif et penser aussi vite qu’un mathématicien. Son œuvre doit être artistique, personnelle, tout en restant anonyme. Le graff est une activité illégale en soi et passible de sanction même pour des messages innocents. Le graff à message politique nécessite pour le graffeur un courage extrême.
Le graffeur interrogé promet, dans un avenir proche, de recouvrir les murs de Diyarbakir des graffitis “AZADI” et “KURDISTAN”.
“Quelle que soit la froidure hivernale, le printemps reviendra” a promis Osman Baydemir lors de son dernier passage à Van, venant apporter aide et solidarité aux sinistrés doublement victimes d’un terrible séisme et d’une implacable répression.
André Métayer.