Ce referendum est tout-à-fait significatif de la vie politique en Turquie : alors que tous les acteurs politiques turcs, les intellectuels et les observateurs étrangers s’accordent pour dire que la question kurde est celle que la Turquie contemporaine se doit de résoudre impérativement et que la démocratisation de la Turquie passe par l’obligation de changer la constitution – héritage du coup d’état militaire de 1980 – les questions posées par voie référendaire ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Les forces politiques, nationalistes d’un côté, islamistes de l’autre, s’affrontaient autour d’une réformette constitutionnelle qui ne résoudra rien d’essentiel ; ceci est si vrai que le parti pro kurde BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) n’a pu faire d’autre choix que d’appeler au boycott pour dire que les réformes proposées sont “cosmétiques”, sans portée réelle, et qu’elles ne donnent aucune réponse aux questions que le peuple kurde pose légitimement depuis des décennies.
Que les instances politico-judiciaires, qui sont sous la coupe des “laïcs” nationalistes de “gauche” et d’extrême droite, passent sous la coupe du parti islamiste, ne fera pas avancer la démocratie dans le pays, n’en déplaise aux institutions européennes qui, avant même d’en connaître le résultat, saluaient déjà cette révision constitutionnelle comme “un pas dans la bonne direction”.
Il est bien sûr intéressant que la dissolution des partis politiques soit soumise au contrôle du Parlement, mais ce parlement turc ne sera pas pleinement représentatif du peuple tant que les voix des partis qui n’ont pas atteint le seuil des10% viendront renforcer mécaniquement le parti majoritaire, l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More en l’occurrence.
Que les auteurs du coup d’État militaire de 1980 puissent être jugés est une décision qui va “dans la bonne direction” mais quoi de plus normal ? C’est l’inverse qui était inconcevable !
L’enjeu de cette révision constitutionnelle est tout autre : il est purement politicien et chaque camp avance ses pions pour gagner les prochaines échéances électorales. A ce petit jeu l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More, qui a mis tous les moyens d’État à contribution dans une campagne très agressive, est sorti vainqueur, c’est incontestable, mais où sont les perspectives politiques à plus long terme ?
Le boycott kurde mérite d’être étudié de près ; dès l’annonce du résultat, Selahattin Demirtaş, co-président de BDP, a estimé que le pari était gagné et le BDP renforcé : “le boycott est une victoire historique pour les Kurdes”, a-t-il notamment déclaré.
L’agence ANF (Agency News Firat) note que plus de 50% des électeurs ont boycotté le scrutin dans les villes où le BDP était arrivé en tête aux dernières élections de 2009.
Dans un pays où le vote est obligatoire, sous peine d’une lourde amende de 22 LT (ce que le gouvernement n’avait pas manqué de rappeler tout au long de la campagne), 65 % des électeurs de Diyarbakir, note encore ANF, ne se sont pas déplacés et se sont abstenus de voter, 33% à Tunceli, 46% à Mus, 50% à Siirt et Igdir, 57 % à Van et à Mardin, 63% à Batman, 78% à Sirnak ; la palme revient à Hakkari avec 93% ; le boycott est également massif dans les quartiers peuplés à majorité de Kurdes de grandes métropoles turques comme Istanbul, Adana et Mersin.
“Les Kurdes ont donné une leçon de démocratie, il faut travailler dès maintenant pour proposer une nouvelle constitution“ martèle Selahattin Demirtaş, délibérément offensif.
“Le modèle espagnol en matière d’autonomie régionale est celui que nous cherchons”, déclare, de son côté, le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More qui, d’après une dépêche de l’AFP, “déposerait les armes si la Turquie adoptait un modèle de régions autonomes comparable à celui de l’Espagne“.
André Métayer