Kadir nous a quittés, après un rude combat contre la maladie. Une délégation des Amitiés kurdes de Bretagne (AKB) lui avait rendu visite en mars dernier, à l’hôpital de Diyarbakir, un dernier adieu. Il était serein, entouré de sa femme, de son fils, sa fille et son petit-fils. Militant de la première heure, il avait souffert de la répression, son visage en était resté marqué mais, modeste, il était très discret et même secret. Nous n’en saurons pas plus. Pour autant, de sa personnalité se dégageait une aura qui forçait le respect. Il est retourné dans ses montagnes de Hakkari qu’il arpentait gaillardement à la recherche des plantes dont il connaissait le secret : celui de rendre lumineux les fameux kilims de l’atelier Rengin de Hakkari.
Les premiers contacts avec Kadir remontent à 2004. Teinturier de son état, il avait mis à disposition sa maison pour créer un atelier de tissage à Hakkari. Mais laissons Marie-Brigitte rappeler l’histoire, après une rencontre en avril 2014 :
l’atelier a été créé en 2000 dans le but de fournir un travail à des femmes déplacées, chassées par l’armée de leurs villages perchés dans la montagne autour de Hakkari. Le but est aussi de perpétuer un tissage de haut qualité, traditionnel tant par le choix des matériaux que par celui des dessins. Des liens étroits se sont tissés entre l’atelier Rengin et les AKB. Le contact établi en 2004 ne s’est jamais interrompu, tant il repose sur de fortes relations humaines et sur une coopération socio-économique et culturelle authentique : autour de la vente de kilims, les AKB organisent en Bretagne des rencontres qui permettent de parler des droits culturels et politiques du peuple kurde. Le directeur de Rengin tient l’atelier à bout de bras, avec l’aide de son fidèle adjoint, Kadir, dont le rôle est capital pour la transmission de la culture kurde : c’est lui qui coordonne le choix des couleurs, la cueillette des plantes dans la montagne ainsi que la recherche de la laine. Le mouton se fait rare. C’est un comble dans ce pays d’élevage ! Le mouton est une victime collatérale de la guerre.
On comprend pourquoi Kadir militait dans l’association écologiste Cilo Doga Dernegi qui tire son nom de la chaîne de montagnes Cilo, culminant à 4 100 m, impressionnante par ses glaciers aux parois vertigineuses, riches de plantes qu’on peut cueillir dans des prairies splendides à 3 000 m d’altitude. La disparition de la flore impacte fortement la production de l’artisanat local. C’est un handicap certain pour l’atelier Rengin, qui teinte la laine utilisée pour le tissage des kilims avec des procédés traditionnels, c’est-à-dire avec des colorants à base de feuilles, de racines et de plantes cueillies dans la montagne. Par qui ? Kadir, bien sûr !
L’atelier survivra à la disparition de Kadir
Kadir a su transmettre son savoir et son savoir-faire. A sa fille, d’abord, l’une des meilleures tisseuses de Hakkari. Elle est venue en Bretagne en décembre 2005 faire une démonstration de son art, à Rennes, à la Chambre des Métiers et sous la halle Martenot, mais aussi à Brest, Châteaulin, Douarnenez, Poullan. Ces tapis de laine tissés verticalement, de grande qualité, empruntent parfois le nom d’une des tribus kurdes de la région. C’est ainsi qu’on trouve des kilims nommés Bateyi [qui est aussi le nom d’un grand homme de lettres kurde, Husseîn Bateyi (1417-1491)], Qesûrî ou Ziloyi aux formes géométriques avec des étoiles qui invitent au dialogue. Le Simkübük présente la “pantoufle de la mariée” et le Lûlêper (nénuphar) “l’harmonie de la nature.” Le Hewceker, [“on ne peut pas faire mieux”], c’est la perfection en termes de kilim, alors que Gulsarya, c’est le “miroir de l’âme,” celle des tisseuses et Sarya le prénom d’une femme. Et si vous trouvez une küpe, “boucle d’oreille”, sachez qu’il s’agit d’un message d’une jeune fille qui cherche un fiancé. Quel plus bel hommage peut-on faire à Kadir si ce n’est en évoquant la qualité de son travail et de son engagement militant ? Notre pensée va à sa famille, à ses proches, et aux membres de l’atelier à qui nous adressons nos condoléances attristées.
André Métayer