Rojbin repose désormais parmi les siens au Kurdistan

Cette fois-ci, ni rien ni personne n’a pu s’opposer à son retour dans son pays : Rojbin l’avait quitté très jeune et était très malheureuse de ne pouvoir, sous peine d’arrestation sitôt posé le pied en territoire turc, nous accompagner lors de nos différentes missions au Kurdistan.

Après la manifestation parisienne qui a rassemblé 50 000 personnes le 12 janvier, 3 jours après son assassinat et celui de ses deux camarades kurdes, Leyla, jeune militante responsable “jeunesse” et Sakine, combattante de la première heure qui a connu durant 10 années les geôles turques ; après les cérémonies d’adieu à Villiers-le-Bel le 15 janvier, où des milliers de personnes se sont recueillies devant les trois cercueils ; le convoi mortuaire a pris la direction de Roissy pour le dernier voyage vers le Kurdistan. Une foule énorme, plusieurs centaines de milliers, attendait dans le froid de Diyarbakir, rassemblée place Batikent, ce jeudi 17 janvier, jour de son 31ème anniversaire.

Selahattin Demirtas, co-président du BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) s’est écrié :

le peuple kurde fait la démonstration aujourd’hui, une fois encore, de sa volonté en faveur de la paix. Le mouvement kurde veut la paix, il ne s’est jamais écarté de la paix. Ce peuple soutient les négociations de paix, et d’inviter le chef du gouvernement de Turquie, RT Erdoğan, à choisir entre guerre et paix : “Erdogan est indéterminé” a-t-il constaté, lui reprochant notamment de continuer à bombarder les positions du PKK dans les monts Qandil, en Irak. Les raids menés par l’aviation turque les 14 et 15 janvier ont été les plus intenses de ces dernières années

a noté l’AFP dans sa dépêche du 18/01/2013.

Les martyres ne meurent jamais

Après cette manifestation de masse et de force, digne et parfaitement maitrisée, les trois cercueils ont été dirigés vers leur destination finale. Celui de Rojbin a rejoint le cimetière de sa ville natale, Elbistan, dans la province de Maras, où des milliers de personnes ont rendu un hommage particulièrement émouvant. Des députés, dont Gultan Kisanak, co-présidente du BDP, Osman Baydemir, maire de la ville métropolitaine de Diyarbakir, les représentants des associations alevis, des syndicats, des organisations de la société civile, ont participé, nombreux, à la cérémonie.

Des banderoles ont été brandies, des slogans ont été criés : “Fidan Dogan, l’honneur du peuple kurde, la fille souriante de Maras, nous ne t’oublierons jamais,” “nous condamnons le massacre,” “nous sommes tous Fidan,” “nous sommes tous Leyla,” “nous sommes tous Sakine.”

Elles étaient des symboles. En assassinant ces trois femmes, ils ont voulu saboter le processus de paix entamé par notre leader kurde Abdullah Öcalan a dit de son coté Gultan Kisanak. Nous voulons que la lutte des Fidan, Sakine et Leyla aboutisse à la paix.

Osman Baydemir a fait une mise en garde solennelle :

que le monde entier et les fascistes le sachent bien ! Quiconque portera la main sur un Kurde verra 40 millions de Kurdes se dresser contre lui. Qu’on se le dise : les Kurdes ne sont pas isolés. On ne supportera pas qu’on touche à un seul cheveu de sa tête, à un seul ongle de sa main. Pour la première fois dans l’histoire, trois diplomates kurdes ont été tuées en Europe. Que le monde entier le sache ! Trois diplomates sont devenues 40 millions de diplomates aujourd’hui.

C’est à épaule d’homme et de femme que le cercueil a été amené à pied jusqu’au village de Hanciplak où Rojbin repose maintenant. Sur sa tombe, une épitaphe : “les martyres ne meurent jamais.”

André Métayer

La foule de Diyarbakir a crié “je prends le relais”

Sylvie Jan, membre de la commission internationale du Parti communiste français et responsable nationale du réseau PCF Kurdistan, a accompagné les trois militantes assassinées à Paris jusqu’à Diyarbakir. Elle représentait aussi la Coordination Nationale Solidarité Kurdistan (CNSK) regroupant les groupes d’amitiés kurdes et les “branches kurdes ” de grandes organisations (MRAP, Mouvement de la paix, PCF…). Elle écrit sur facebook (Jan, Sylvie) :

retour de Diyarbakir. Maintenant, je sais ce que signifie une marée humaine. Un million de personnes, épaule contre épaule. L’armée avait bloqué les entrées de la ville : la population est descendue, de tous les quartiers. Quand un million de personnes crie la même chose au même moment, ça envoie des ondes dans le ventre. Ça vous pénètre à jamais. D’autant que dans cet hommage, il y a quelque chose de particulier. Ce n’est pas seulement le fait que trois femmes soient tuées. Toutes ces familles venues ensemble ont tous leurs emprisonnés, leurs disparus, leurs morts. La terre au Kurdistan de Turquie ne cesse de s’ouvrir pour les accueillir. Mais cette fois, il y a dans le triple assassinat plusieurs symboles qui soulèvent inquiétude, colère et attente à l’égard de la France. Trois femmes : ce sont les femmes qui dominent largement la résistance. Sakine était le numéro 1. Sur place, ce sont des femmes qui portaient les cercueils. Ce sont des femmes députées et dirigeantes du BDP qui ont pris la parole. Les centaines de milliers de pancartes disaient : “je prends le relai”. Mais l’inquiétude et l’émotion tiennent surtout au fait que ce crime ait eu lieu en France. A Paris. Ainsi donc, nulle part au monde, les Kurdes ne seront-ils plus jamais en sécurité ? La colère est beaucoup à cet endroit. Pourquoi tant d’acharnement ? Cette colère imprègne l’exigence d’une réponse venant de la France. On leur doit des comptes. Mais le juge aux affaires anti-terroriste à qui il a été confié l’enquête est le juge qui arrête et emprisonne les militants kurdes en France. C’est le juge que Rojbin avait face à elle dans tous les procès. Pour nos amis c’est une insulte. J’apprends les gardes à vue. Rojbin n’avait pas de chauffeur. Les Kurdes ne se contenteront pas de n’importe quelle réponse. Nous non plus. En vivant tout cela, cette nuit une question est revenue : qu’est ce que je fais de ce que je viens de vivre ? Des idées d’actions en réponse… je reviens vers vous très vite… Vos soutiens seront extrêmement précieux.

Sylvie Jan

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Chapelle ardente à Rennes, au siège de l’association kurde Amara

Les locaux d’Amara – Maison du Peuple kurde n’ont pu contenir les centaines de femmes et d’hommes – toute la communauté kurde était présente – venues samedi dernier à la cérémonie organisée par les femmes kurdes de Rennes et sa région à la mémoire de Rojbin, Sakine et Leyla. Gérard Kounga, conseiller municipal de Rennes et ancien président de la Maison internationale de Rennes, était présent ainsi que plusieurs membres des Amitiés kurdes de Bretagne. Le Président d’AKB a présenté ses condoléances et a rappelé la marche silencieuse qu’organisent conjointement Amara et AKB samedi prochain, 26 janvier. Des personnalités locales, régionales et nationales ont fait part de leur intention de venir se joindre au cortège.

André Métayer

Déclaration du Comité International de la Marche Mondiale des Femmes

Fidan Dogan (Rojbin) militait, au nom des organisations féminines kurdes, dans les organisations féministes internationales. Elle fut, avec Berfin Dilav, l’une des animatrices de la conférence internationale tenue à Bruxelles en décembre 2009 par la Fondation internationale des Femmes libres (IFWF), sous la présidence d’Eva-Britt Svensson, Présidente de la Commission des Droits de la Femme et de l’Egalité des Genres au Parlement européen, marrainée par Waris Dirie, ancienne ambassadrice de l’ONU et Ela Ghandi, petite-fille de Ghandi, ancienne députée du Parlement sud-africain. Rojbin était connue du Comité International de la Marche Mondiale des Femmes qui a réagi à l’annonce des funérailles de trois militantes kurdes assassinées :

pour nous, il est bien clair que l’extermination des femmes qui luttent pour les droits de leur peuple ne bénéficie qu’à l’État oppresseur et à ses alliés. Nos camarades kurdes nous disent que le gouvernement turc déclare ouvertement que les opérations de sécurité et les négociations se poursuivront. Elles dénoncent aussi qu’un attentat pareil ne peut avoir lieu sans la complicité du parti au le pouvoir, Justice et Développement (AKP), de l’État français et des autres États européens. Nous, Marche Mondiale des Femmes, condamnons ce crime, le dénonçons comme une grave atteinte à la paix et la lutte pour la liberté et déclarons notre solidarité avec les femmes et le peuple kurde. Le 12 janvier, nous avons rejoint la grande manifestation des manifestant-es kurdes présent-es à Paris. Nous sommes aussi dans les rues de Turquie pour accompagner nos camarades kurdes qui affirment que l’expérience et la mémoire de ces martyres seront nos guides dans ce chemin de résistance vers la liberté. Nous partageons avec vous les déclarations de nos camarades du mouvement Démocratique de Femmes Libres (DOKH) – groupe de femmes kurdes qui intègre la MMF en Turquie et de la MMF en France. En solidarité et luttes féministes.

Communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)

La Ligue des Droits de l’Homme, en appelant à participer au rassemblement de protestation et de soutien à Paris le 12 janvier, a condamné l’effroyable assassinat qui a coûté la vie à trois militantes politiques kurdes présentes dans les locaux du Centre d’information du Kurdistan (CIK) :

les autorités judiciaires françaises ont la responsabilité de diligenter une enquête rigoureuse qui, seule, permettra de connaître les auteurs et les commanditaires de cet assassinat. La LDH rappelle et affirme que la solution de la question kurde en Turquie passe par le respect de la liberté d’expression et la tenue des négociations par toutes les parties.

La Ligue des Droits de l’Homme de Montpellier a également élevé une vive protestation “face à cette attaque contre ces militantes œuvrant pour une solution pacifique au Kurdistan” et exprime sa fraternité et son soutien :

ces meurtres interviennent alors que le parti au pouvoir en Turquie, l’AKP, a entrepris très récemment des pourparlers avec le PKK afin de trouver une issue pacifique au conflit armé opposant depuis trente ans le peuple Kurde en lutte pour sa reconnaissance, et le gouvernement de Turquie.

La LDH de Montpellier a réaffirmé son soutien “aux militants politiques, associatifs, à ceux qui usent de leur liberté d’expression, qui luttent pour la reconnaissance des droits démocratiques du peuple kurde”.