La Cour suprême électorale de Turquie (YSK) vient de frapper d’inéligibilité de hautes personnalités kurdes qui présentaient leur candidature aux élections législatives du 12 juin prochain en candidats indépendants. C’est un coup extrêmement dur et injuste qui frappe le parti pro kurde BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) mais pas seulement : la gauche turque qui s’était alliée au BDP pour soutenir des candidats indépendants est également touchée. Le BDP, déjà pénalisé par une loi électorale dont chacun s’accorde à dire qu’elle ne permet pas une expression vraiment démocratique, pouvait légitimement espérer former à nouveau un groupe parlementaire à la Grande Assemblée de Turquie (Parlement). Avec ses candidats présentés en indépendants, le BDP avait en effet pu former en 2007 un groupe d’une vingtaine de députés dans un scrutin proportionnel régional à un tour.
Sans l’obligation de passer au plan national la barre des 10%, le BDP aurait pu compter 60 parlementaires. La question du boycott des élections est posée.
Les personnalités visées sont celles qui, pour la plupart, ont déjà payé un lourd tribut à la démocratie, entre autres :
Leyla Zana : élue en 1991 comme députée du DEP de Diyarbakir, arrêtée en 1994, condamnée à 15 ans de prison, libérée en juin 2004. Elle a reçu en 1995 le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, créé par le Parlement européen pour « honorer les personnes ou les organisations qui ont marqué de leur empreinte le combat en faveur des Droits de l’Homme et pour la défense des libertés ».
Hatip Dicle : ancien député du DEP comme Leyla Zana, arrêté comme elle le 2 mars 1994, sorti du Parlement à coups de pieds et de poings et embarqué manu militari dans une voiture de police, libéré en juin 2004, co-président du Congrès pour une Société Démocratique (DTK) en 2008, arrêté à nouveau le 24 décembre 2009, toujours en détention provisoire : c’est l’un des 151 inculpés du procès de Diyarbakir.
Gültan Kışanak : députée de Diyarbakir, co-présidente du BDP. Arrêtée à 19 ans lors du coup d’Etat militaire de 1980 et emprisonnée durant trois ans à Diyarbakir.
Sabahat Tuncel : porte-parole de la section des femmes du DTP, incarcérée en novembre 2006, passe en 2007 directement de la prison au Parlement : députée d’Istanbul.
Ertuğrul Kürkçü : journaliste, écrivain, militant de la gauche turque révolutionnaire, condamné à mort en 1974 (peine commuée en 30 ans de prison), libéré en 1986, poursuivi en 1996 pour avoir traduit en turc le rapport intitulé « Les transferts d’armes et les violations des lois de guerre en Turquie » établi par Human Rights Watch – Arms Project.
Ce déni de justice compromet sérieusement les efforts pour défendre légalement, par la voix des urnes, les justes revendications des Kurdes qui réclament les droits qu’obtient tout un chacun dans un régime démocratique.
On signale déjà des manifestations à Diyarbakir, Batman, Mersin et Van. Les réseaux sociaux sont mobilisés et un appel est lancé pour une manifestation à Istanbul.
André Métayer