Du fond de sa prison d’Edirne, une prison de type F où il est incarcéré depuis déjà 8 mois, Selahattin Demirtaş, co-président du Parti démocratique des Peuples (HDPParti de la Démocratie des Peuples (Halklarin Demokratik Partisi). More) parvient, non sans peine, à communiquer avec l’extérieur par le truchement des avocats. Une certaine presse a voulu le mettre en contradiction ou en compétition avec Abdullah Öcalan, figure charismatique de la résistance kurde, emprisonné depuis 1999 dans l’île-prison d’Imrali. Selahattin Demirtaş a tenu à mettre les choses au point en élevant le débat – le seul qui compte à ses yeux – celui de la paix :
certains concepts sociologiques peuvent changer de sens en fonction de l’époque et du lieu. Instaurer la paix fait partie de ces concepts, de nos jours la notion de paix n’est plus liée à la fin de la guerre.
La fin des conflits ne suffit pas pour apporter la paix : il faut annihiler les causes pour éviter une reprise du conflit.
Prôner la fin de la guerre et la paix des armes n’est pas suffisant
La fin de la guerre et la paix des armes ne sont plus suffisants pour mettre en place une paix durable et Selahattin Demirtaş de citer comme facteurs à risques les relations interétatiques basées sur les violences économiques, politiques et psychologiques, les liens entre Etat, société, individu, homme & femme, dirigeant & sujet, employeur & employé : alors que les affrontements et la guerre continuent, il faut en même temps mener un combat unique et déterminé pour instaurer et construire cette paix.
C’est donc un appel à toute la société démocratique, au mouvement des femmes, à la presse libre, à la jeunesse, au monde du travail, aux organisations civiles que lance Selahattin Demirtaş :
mener la société à un système d’auto défense du peuple, à l’aide d’organisations qui pourront s’autogérer d’un point de vue économique, social, culturel et sociétal est très important pour enraciner la paix. Et, avec ceci, préparer le milieu socio-psychologique, valoriser les relations diplomatiques basées sur la paix et mettre en action le peuple pour une démarche vers la paix.
“Sayın” Öcalan, principal interlocuteur pour la paix
Pour Selahattin Demirtaş, “Sayın”[[“Sayin” n’est pas un mot anodin. L’emploi de cette marque de respect et d’estime envers Öcalan valut par le passé à Ahmet Türk une condamnation à six mois de prison pour infraction à l’article 215 du code pénal qui sanctionne “l’éloge du crime et des criminels”.]] Öcalan est le leader du peuple kurde qui, malgré les conditions sévères d’isolement, continue de tracer de grandes perspectives concernant la “consolidation de la paix” et qui serait capable, s’il jouissait de meilleures conditions de vie, d’obtenir des résultats pour instaurer une paix durable :
ayant eu la chance de rencontrer plusieurs fois Sayın Öcalan [dans l’ile prison d’Imrali], j’ai été le témoin de ses efforts considérables. Il assume le rôle et des responsabilités en tant que leader du peuple kurde. Cette position historique et institutionnelle fait de lui le principal interlocuteur pour la paix et le principal locuteur lors de négociations potentiels. Vouloir se tourner vers d’autres interlocuteurs est totalement inutile et insensé. De nombreuses personnes font des comparaisons malveillantes entre Sayın Öcalan et moi, C’est une grossière manœuvre de ceux et celles qui renient la politique démocratique et ses pionniers”. Et Selahattin Demirtaş de conclure : “on ne devient pas démocrate en ajoutant le mot ‘démocratique’ à chaque phrase. La démocratie est une culture, un style de vie. Elle commence par l’auto critique, et dans tous les domaines. S’autocritiquer et rendre des comptes au peuple n’est pas une possibilité d’un point de vue organisationnel mais un devoir. Il ne s’agit pas de multiplier les critiques théoriques. Elles doivent, comme les autocritiques, viser surtout les pratiques. Mes sincères salutations à tous mes amis qui résistent bravement dans les prisons comme à l’extérieur.
André Métayer
Selahattin Demirtaş à Rennes
Selahattin Demirtaş est venu à Rennes en juin 2010, à l’invitation de l’association kurde Amara et des Amitiés kurdes de Rennes. Il a rencontré à cette occasion Ouest-France, qui relate l’entrevue dans son édition du 1° juillet 2010, notamment
la douloureuse question de ce peuple écartelé entre quatre pays, la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie, bafoué et mis à l’écart par l’ensemble des pays du monde. Vingt millions d’êtres humains sont niés dans cette région. Arrestations musclées, discriminations, presse kurde muselée, en Turquie notamment… Selahattin Demirtaş qui n’a pas cessé de souligner la valeur des droits de l’homme, ne cautionne pas l’attitude de la France et de la plupart des pays européens : le gouvernement français ne devrait pas faire passer ses enjeux commerciaux avant les droits de l’homme.