C’est un véritable bras de fer que la société kurde, dans toutes ses composantes, a engagé pour la reconnaissance de l’identité kurde.
Le procès des 151 inculpés devant la Haute cour pénale de Diyarbakir, les manœuvres du Haut conseil Electoral (YSK), et la campagne de “désobéissance civile” ont boosté tout un peuple.
Les tenants du pouvoir turc, qu’ils soient du côté du parti politique majoritaire au Parlement, le parti islamo-conservateur du Premier ministre R.T. Erdogan, ou du côté de l’establishment politico-judico-militaire, appelé aussi “l’Etat profond”, réagissent avec une brutalité et une duplicité qui interpellent en Turquie certains cercles progressistes favorables à un dialogue et à une démocratisation de la vie publique. La presse turque en parle.
Si l’action continue, le Pouvoir sera contraint d’en tenir compte.
Le procès de Diyarbakir une nouvelle fois ajourné
Le procès des 151 inculpés, dont Osman Baydemir, maire métropolitain de Diyarbakir, est une nouvelle fois ajourné. L’audience du 26 avril dernier n’aura duré que quelques minutes : la Cour, en effet, a refusé à la défense de s’exprimer en kurde et, en signe de protestation, les 250 avocats se sont levés, ont quitté la salle d’audience et ont improvisé un sit-in sur les marches du Palais.
Ce procès n’est malheureusement pas le seul en Turquie contre des militants kurdes mais c’est le plus emblématique du fait de la personnalité de ces présumés coupables, accusés d’être l’aile urbaine du PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More, donc des terroristes : ils encourent des peines, requises par le Procureur, allant de cinq ans de détention à la prison à vie ( lire : Procès de Diyarbakir : ouverture de la 15ème audience dans un climat de haute tension ).
Cette bataille autour de la langue kurde montre que c’est la question identitaire qui est posée et non celle “d’association de malfaiteurs”.
Il est à noter que la volonté d’éradiquer la représentation légale kurde ne date pas d’hier : le parti pro kurde a été régulièrement interdit (le dernier en date, le DTP, a été interdit le 11 décembre 2009, et … aussitôt remplacé par le BDP), mais la répression contre les élus kurdes n’a jamais été aussi forte que depuis avril 2009, au lendemain de la victoire de ces élus aux élections locales et régionales. 1500 élus et cadres, politiques et associatifs, sont détenus, sans jugement, dont certains depuis deux ans.
La campagne électorale pour les élections législatives du 12 juin 2011
Les partis qui ne peuvent espérer faire 10% des voix sur le plan national sont handicapés par la loi électorale en vigueur et doivent pour résister présenter leurs candidats en “indépendants” dans un scrutin régional à un tour, avec le risque de dispersion des voix ; pour autant, le DTP avait réussi, en 2007, à former un groupe parlementaire et assurer une représentation légale gênante pour le Pouvoir qui ne souhaitait pas retrouver cette situation. Le Haut conseil Electoral (YSK), en prenant la décision d’invalider les candidatures des personnalités kurdes les plus emblématiques, s’est conduit en allié objectif du gouvernement AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More, tout en l’embarrassant.
Mais la manœuvre a échoué sous la pression de la rue et du flot de critiques émanant tant de l’intérieur (relayé par la presse turque) que de l’extérieur. Nous notons pour notre part la prise de position du groupe des verts au Parlement européen (les Verts/ALE), du parti communiste français (PCF) et du parti socialiste français (PS).
Le Conseil National de Sécurité (MGK), dont les “conseils” sont toujours écoutés malgré l’affaire “Ergenekon” qui l’a quelque peu éclaboussé, se réunit ce jeudi pour préparer à sa manière les élections : il s’exprimera sur la “sécurité des urnes”. Le BDP a déjà prévenu qu’il refusait aux forces armées le droit de s’ériger en “greffier” des scrutins. Le MGK doit aussi proposer l’intensification des opérations militaires et des mesures pour contrer les actions de “désobéissance civile”.
Les chapiteaux de la paix et du dialogue
Les actions de “désobéissance civile” prennent de l’ampleur et les “chapiteaux de la paix et du dialogue” appelés aussi “tentes pour une solution démocratique” fleurissent dans toutes les villes des régions kurdes et même ailleurs (Mersin, Adana, Izmir, Istanbul, Paris, Bruxelles, Strasbourg, Genève, Cologne, Amsterdam, Londres). Les chapiteaux, lieux de rassemblement, de discussion, et de ralliement, sont de moins en moins tolérés par les autorités turques.
- Dogubayazit/Agri : la police s’est heurtée à des manifestants résolus quand elle a voulu entreprendre le démontage du chapiteau : elle a dû faire appel à des véhicules blindés.
- Varto/Mus : un sit-in a été spontanément organisé pour s’opposer aux forces de police venues démonter les chapiteaux ; malgré l’intervention du gouverneur, la population a tenu bon ; la police s’est retirée après négociations.
- Bulanik : le chapiteau a été démonté par les forces de police et remonté par la population qui a mis en place un tour de veille.
- Malazgirt : Il est impossible de se rendre square de la Liberté où est érigé le chapiteau ; les commerçants ont baissé leurs rideaux en signe de solidarité.
- Igdir : après la destruction du chapiteau par les forces de police, les citoyens ont montré, au cours d’une réunion qui s’est tenue dans les locaux du BDP avec la députée Pervin Buldan, une grande détermination pour remonter le chapiteau.
- Van : le chapiteau a été démonté par les forces de police ; une réunion s’est tenue dans les locaux de IHD (association turque de défense des droits de l’homme) ; un communiqué a été adressé à la presse ; de nombreux commerçants ont baissé leurs rideaux en signe de solidarité.
- Siirt : “l’AKPAdalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la Justice et du Développement), parti islamiste aux mains de l’autocrate Erdogan. More ne peut tolérer que notre parti demande une solution démocratique pour régler la question kurde ; chacun doit savoir que nous allons continuer ; il faut que le directeur de la sécurité apprenne, s’il veut faire correctement son travail, à respecter la démocratie pluraliste et participative” a déclaré le maire de Siirt, Selim Sadak. Le sit-in continue et le chapiteau devrait être reconstruit rapidement.
- Cizre : le Président local du BDP, Esat Malkuc, s’est adressé à la foule en colère venue constater la destruction du chapiteau par les forces policières qui ont confisqué tout le matériel, et l’a exhortée à ne pas baisser les bras : “la police a accompli son œuvre nuitamment ; il faut remonter un chapiteau et le protéger nuit et jour” ; Une garde a été également mise en place devant le siège du BDP.
- Silopi : Ce sont les femmes qui se sont mobilisées dans cette ville proche de la frontière et qui ont installé un nouveau chapiteau, sous l’œil des forces policières qui observent à distance.
- Tunceli (Dersim) : des centaines de personnes convergent vers le square Seyit Riza, zone interdite depuis que la police a démonté le chapiteau qui …sera remonté sans aucun doute tant la détermination est forte.
- Batman, Sirnak, Kiziltepe, Nusaybin, Idil : les sit-in continuent et de nouveaux chapiteaux devraient être mis en place rapidement.
Les chapiteaux de Diyarbakir et de Hakkari sont sous bonne garde.
André Métayer