Le peuple kurde est plein d’espoir après l’ouverture des pourparlers avec Abdullah Öcalan : de Diyarbakir, capitale du Kurdistan turc (1 million d’habitants) à Çukurca, village à la frontière irakienne (8 000 habitants) en passant par Hakkari, 57 000 habitants.
Tous derrière Öcalan pour des accords de paix
De retour d’une mission d’observation au Kurdistan turc (23 avril au 1er mai 2013), voici ce que nous avons vu et entendu : « tous derrière Abdullah Öcalan. »
Après des années de souffrances (villages brûlés, exodes vers les villes, procès, emprisonnements, agriculture et économie ruinées), tout le monde crie “assez !” Nous avons rencontré des élus et des représentants de la société civile : beaucoup sont passés par la case prison pour avoir revendiqué le droit d’être kurde. Beaucoup de mères des deux côtés ont perdu un fils dans les combats et tous maintenant n’ont qu’un seul vœu : “il y a eu trop de morts !”, “que la paix advienne !” Le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More a annoncé le retrait de ses troupes et a libéré les prisonniers militaires. Des commissions de sages ont été envoyées par le gouvernement turc dans tout le pays pour recueillir les informations.
Les Kurdes demandent des droits reconnus par une nouvelle constitution
Ce que veulent les Kurdes, c’est la reconnaissance de leurs droits et donc que la constitution turque soit réformée :
- révision de l’article 6 (suppression du mot « ethnie ») ;
- autorisation d’enseigner dans la langue kurde ;
- rétablissement des noms des villes et des villages en langue kurde ;
- droits locaux qui prendraient leur place à travers des droits régionaux, une vraie décentralisation avec des préfets élus ;
- et bien sûr la libération de tous les prisonniers politiques et l’ouverture d’enquêtes sur toutes les disparitions.
Un optimisme teinté de craintes
Certaines avancées sont certes notées, comme la cessation des bombardements à la frontière, l’autorisation accordée à certains paysans de retourner sur les plateaux, certaines libérations de prisonniers politiques, mais il reste beaucoup à faire et cet optimisme est teinté de craintes :
- si, selon certains sondages, 40 à 60 % de la population turque seraient d’accord avec le processus de paix, il reste des régions (Turquie de l’ouest entre autres) plus hostiles. On ne change pas aussi facilement des mentalités façonnées par une éducation nationaliste depuis des décennies ;
- les femmes sont peu représentées dans les commissions des sages mises en place par le gouvernement turc ;
- les contrôles se sont intensifiés dans la région près de la frontière, des postes militaires supplémentaires ont été construits. Les habitants ne comprennent pas, une démarche du BDP auprès des autorités a semble-t-il cependant été suivie d’une accalmie dans les contrôles ;
- il reste surtout, beaucoup, beaucoup de Kurdes dans les prisons turques, y compris des enfants. La loi de 2008 a certes assoupli les condamnations pour les enfants de moins de 18 ans : s’ils n’ont fait que participer à des manifestations, ils sont jugés et condamnés par des tribunaux de droit commun à des peines assorties, parfois, de sursis, mais s’ils ont jeté des pierres, ils continuent à être jugés selon les sévères lois antiterroristes. La question qui se pose aujourd’hui est celle de la réinsertion qui est en échec total pour tous ces jeunes (suicides, criminalité). Il faudrait aussi parler des conditions de vie dans les prisons. 50% des femmes qui militent au DOKH (Mouvement démocratique des Femmes libres) sont en prison.
Outre cette confiance assez générale en leur leader, Abdullah Öcalan, ce qui frappe chez les Kurdes, c’est leur confiance en leurs propres forces. Ils nous ont en effet partout dit qu’ils étaient prêts et, effectivement, partout nous avons pu constater qu’un long travail d’organisation démocratique avait commencé en amont. De nombreuses structures (associations, rassemblements, assemblées) sont opérationnelles.
Diyarbakir, capitale moderne, ouverte à une société multi-identitaire
Partout, il faut reconstruire. Nous avons été convaincus et sommes pleins de respect et d’admiration pour leur courage et leur tolérance. A Diyarbakir, capitale moderne, on sent chez tous, élus et société civile, la volonté de montrer au monde une société multi-identitaire, multi-culturelle et multilingue : les élus ont choisi de réhabiliter des lieux de culte divers, comme par exemple l’église arménienne de Saint Grégoire où, pour la première fois, on a célébré une messe et organisé un récital de piano. D’après Osman Baydemir, maire métropolitain de Diyarbakir, l’année 2013 est celle des remparts de la ville dont il espère qu’ils seront classés au patrimoine de l’humanité. Le développement économique ne laisse pas de côté une politique sociale, la question du genre. Il reste à trouver des solutions aux problèmes que ne manquera pas de poser la réhabilitation des quartiers défavorisés : des études sont à l’œuvre et la mairie entend imposer son point de vue afin que soient respectés les droits à un relogement digne et juste. L’avenir dira si ces politiques ont été couronnées de succès.
Les Kurdes ne comprennent pas la politique de la France
En attendant, il y a nous, en France ! La position frileuse du gouvernement ne peut que nous stupéfier quand on revient d’une telle mission ! La France, l’Europe, ne sont-elles pas en train de carrément “louper” quelque chose ? Un immense espoir se lève dans cette région du Moyen-Orient. Rien ne se fera sans les Kurdes, ceux de Turquie mais aussi les autres, ceux d’Iran, d’Irak et de Syrie.
Nous avons été souvent interpellés en tant que Français et il nous semble aujourd’hui plus que jamais que le gouvernement et François Hollande doivent se positionner en ne signant pas les accords sécuritaires avec la Turquie car “ils mènent en prison des gens qui ont une activité légale et ruinent les espoirs de paix,” nous disent les Kurdes.
Ils ne comprennent pas non plus comment trois femmes kurdes qui faisaient confiance à la France pour leur protection ont pu être assassinées en plein Paris. Ils demandent instamment à la France de tout faire pour que les vrais coupables soient trouvés et jugés pour ces crimes inacceptables.
M.B. Duigou