Non, bien sûr, vous ne pouviez pas savoir : vous n’aviez pas “pris la mesure des souffrances du peuple tunisien”, comme a dit le président Sarkozy, et vous revendiquiez, hier encore, le droit à une certaine réserve, par rapport aux informations “surprenantes” venant d’hommes et de femmes chassés de leur pays ou emprisonnés, faisant même des grèves de la faim ! Non, les témoignages de ces gens-là, défenseurs des droits et des libertés, vous apparaissaient comme trop partisans, manquant de recul, incapables d’analyser objectivement la situation et proposer des solutions crédibles pour leur pays.
Vous êtes aujourd’hui plus circonspect et observez avec plus de prudence ce qui se passe en Egypte, en Algérie, en Lybie, en Jordanie et même au Yémen. Et en Turquie ? Silence radio.
Les 500 000 touristes français (900 000 en Tunisie) passent d’agréables séjours à Istanbul et dans les stations balnéaires de Kusadasi, Bodrum ou Antalya (qui valent bien celles de Monastir, Hammamet ou Djerba). Les intérêts français sont aussi très présents en Turquie (exemple : RENAULT ; sa filiale Oyak-Renault, c’est en 2009 5,5 % des effectifs du groupe, 277 572 véhicules soit 12,2 % de la production totale et 14,8 % de parts du marché automobile). Les coopérations sont nombreuses, même avec la police, lutte anti terroriste oblige : l’Etat turc n’est-il pas victime des attaques d’une organisation terroriste ? La Turquie, amie de la France, membre de l’OTAN, membre du Conseil de l’Europe, candidate à l’entrée dans l’Union européenne avec laquelle elle a signé en 1995 un accord d’union douanière, est un pays cultivé avec lequel nous entretenons de solides relations culturelles : l’année 2009 (1er juillet 2009 au 31 mars 2010) ne fut-elle pas l’année de la Turquie en France ?
Bien sûr, vous n’avez jamais entendu parler du communiqué du collectif pour les Droits de l’Homme en Turquie qui à cette occasion a rappelé, force exemples à l’appui, que “les violations des droits civils et politiques et les atteintes aux droits culturels, économiques et sociaux sont nombreuses dans ce pays”.
Vous n’avez pas non plus entendu les appels nombreux des Kurdes exilés en France et en Europe et des “Amis du Peuple kurde” dénonçant la politique antidémocratique du gouvernement turc dirigé par Recep Tayyip Erdogan.
Vous ne savez sans doute pas que des milliers de Kurdes croupissent en prison pour des motifs politiques et que tout opposant est considéré comme un “terroriste”. Le procès de Diyarbakir censé juger 151 personnalités kurdes s’enlise et aucune libération n’est espérée avant de longs mois, bien au contraire : de nouvelles arrestations de militants kurdes se comptent chaque semaine par dizaine ; en moins de trois jours, la police vient de procéder, dans dix villes différentes, à 105 arrestations ; 18 personnes ont été écrouées.
Vous ignorez également que les syndicats, excédés, dénoncent la politique anti-sociale du gouvernement islamo-conservateur et que les étudiants sont également descendus dans la rue à Ankara et Istanbul, mais aussi à Diyarbakir, Urfa et Erzerum : pourtant, même l’AFP (dépêche du 27/01/11) a dû signaler que l’agitation estudiantine se poursuit en Turquie depuis novembre et qu’elle est violemment réprimée par les forces de l’ordre.
Vous n’aimez plus Ben Ali ? Aimerez-vous encore longtemps Erdogan?
André Métayer