Merci à notre ami québécois André Cloutier, adhérent des Amitiés kurdes de Bretagne, de nous avoir fait découvrir Zaynê Akyol , cinéaste québécoise d’origine kurde, à travers un excellent article paru dans ‘’L’aut’journal’’ (‘’avec une apostrophe pour apostropher’’), un journal progressiste, indépendant, indépendantiste et prosyndical. Ce mensuel, fondé en 1984, tiré à 8 500 exemplaires et distribué sur l’ensemble du territoire québécois, ne bénéficie d’aucune subvention et ne recourt à aucune publicité commerciale. Son indépendance repose sur son auto-financement et sur le bénévolat. Zaynê Akyol, originaire du Dersim, émigrée au Québec en 1991 à l’âge de 5 ans, est connue pour avoir réalisé deux excellents longs métrages :
Gulîstan, terre de roses. Ce documentaire de 86 minutes – en français – (2016) nous transporte dans les montagnes et le désert du Kurdistan, avec les guérilleras kurdes du Parti des travailleurs kurdes (PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More) et nous dévoile le quotidien de ces hommes et de ces femmes révolutionnaires qui combattent Daech, l’État islamique.
ROJEK, un documentaire de 127 minutes – en anglais, allemand, arabe, kurde, s.-t. français – (2022). Zaynê Akyol va à la rencontre de membres de l’État islamique, et de leurs femmes, détenu-e-s dans des camps-prisons, sous la surveillance de forces kurdes .
Ses documentaires Gulîstan, terre de roses et Rojek offrent un regard privilégié sur le conflit avec Daech. ‘’Sa démarche nous permet de voir les évènements de la dernière décennie du point de vue kurde – trop souvent ignoré – et de mieux comprendre les différents belligérants’’ écrit Orian Dorais, qui, souhaitant contribuer au devoir de mémoire, s’est entretenu avec Zaynê Akyol , lors d’une interview dont voici quelques extraits.
Gulîstan, terre de roses
Zaynê avait une amie qui s’appelait Gulîstan et, quand elle a disparu sans lui dire « au revoir », elle en éprouva un profond chagrin Elle apprit plus tard qu’elle avait rejoint les combattant-e-s du Parti Kurde des Travailleurs (PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More) et qu’elle avait été tuée, en 2000, durant une opération coordonnée par le gouvernement turc. D’où le nom de son premier long métrage : ‘’Gulîstan’’. A Orian Dorais qui l’interroge sur le tournage, Zaynê Akyol répond :
‘’Ça n’a pas été de tout repos… Le jour de notre arrivée, le 3 août 2014, a coïncidé avec l’invasion de Sinjar par Daech. Le PKKPartiya Karkerên Kurdistan, Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. More nous a autorisé l’accès à un camp d’entrainement dans les montagnes. … Quand nous avons pu rejoindre le campement, nous nous sommes sentis plus en sécurité, car nous étions loin de tout. J’ai pu filmer l’entrainement des soldates. J’étais contente de pouvoir montrer des femmes du Moyen-Orient prenant le contrôle de leur situation, alors qu’on a tendance à les représenter comme des victimes qui pleurent leurs maris ou leurs enfants. J’ai rencontré plusieurs protagonistes qui me rappelaient Gulîstan.’’
Orian Dorais. : Ton documentaire montre aussi des images des hostilités qui n’ont rien à envier aux meilleurs reportages.
Zaynê Akyol : ‘’Après quelques semaines, nos amies ont été déployées à Sinjar, où avait lieu une bataille pour la reprise de la ville. Le but était de repousser Daech qui avait commencé à commettre des exactions, comme tuer des hommes yézidis et prendre des femmes en esclavage.
J’aurais voulu filmer à Sinjar, mais c’était trop dangereux. Nous avons tout de même pu tourner dans la petite ville de Mexmûr, à 800 mètres de la ligne de front. En partant de Montréal, je m’attendais à filmer des routines militaires, mais je ne savais pas que j’allais me retrouver au cœur d’une guerre. Mais puisque nous étions là, j’ai voulu prendre des images du conflit; donc, nous avons passé deux mois dans cette région, avant de partir. La plupart des femmes que nous avons filmées ne sont jamais revenues, comme Gulîstan. Mais j’ai eu envie de revenir au Kurdistan et de continuer à faire des documentaires sur la situation. Ça a inspiré Rojek.’’
Orian Dorais : Comment s’est passé ton retour d’Irak ?
Zaynê Akyol : ‘’À l’automne 2014, je suis revenue à Montréal avec les images de mon premier long-métrage documentaire. Il est finalement sorti au printemps 2016, en première mondiale au festival Visions du réel. Il a été très bien reçu, tant dans les festivals qu’au Québec, lors de sa sortie en salle. Par contre, le film a attiré l’attention des autorités turques et j’ai été placée sur la liste noire du régime répressif d’Erdogan’’.
ROJEK (un jour)
Orian Dorais l’interroge la préparation du tournage de ‘’Rojek’’
Zaynê Akyol : ‘’J’ai d’abord eu à suivre le même entrainement que les reporters qui partent en zone de guerre. C’était donné par d’anciens militaires français, ils nous enseignaient comment soigner une plaie ou comment réagir lors d’une prise d’otage’’.
Partie pour filmer Felat, une commandante de forces armées kurdes en Syrie, Zaynê Akyol doit changer de sujet, compte tenu de la situation (Felat est en train de diriger plusieurs opérations militaires), elle choisit donc d’aller interviewer des membres du groupe armé État islamique dans trois prisons du Kurdistan irakien, où des milliers de prisonniers de Daech sont retenus, et s’en explique :
Zaynê Akyol : Comme je te l’ai dit, la plupart des protagonistes de Gulîstan, terre de roses sont décédées en combattant Daech. J’étais traumatisée, car je les considérais comme des amies. Mais j’étais aussi profondément marquée par la souffrance de mon peuple. Voir l’horreur change comment on perçoit notre vie, et j’en ai vu beaucoup au Kurdistan : des femmes ayant subi l’esclavage sexuel, des enfants orphelins, des gens qui ont perdu leur maison, leur famille, toute leur existence ! Les marques de violence étaient visibles partout, tout le temps. C’est ce qui m’a poussée à vouloir parler avec l’É.I. Je voulais comprendre la motivation de ces djihadistes qui ont répandu une telle terreur…
Orian Dorais : Comment on se sent de parler à gens qui ont commis tant d’atrocités?
Zaynê Akyol : C’est très étrange, je me suis rendu compte que je ne savais pas grand-chose de ces gens. Leur parler provoque une drôle d’impression, car ils sont très ordinaires. Un des premiers personnages que l’on voit dans le film m’a chanté du Shawn Desman durant une entrevue. C’est un homme qui a décapité des gens et était heureux d’être filmé, à visage découvert, pendant qu’il le faisait, mais je pouvais avoir une conversation normale avec lui. Ça a été comme cela avec des dizaines de membres de Daech.
Orian Dorais : Si je comprends bien, ton tournage a été mouvementé.
Zaynê Akyol : ‘’Assez, oui. Lorsque nous filmions à Raqqa, nous étions sous la protection des services secrets kurdes, qui nous déplaçaient en voitures blindées. Il y avait une limite de quinze minutes de tournage par lieu, ensuite il fallait bouger. Un jour, nos gardes du corps ont exigé que je remballe mes affaires après cinq minutes, parce qu’ils « ne le sentaient pas ». Je me suis un peu obstinée, mais je les ai écoutés. Juste après notre départ, bang! Il y a eu une explosion. Quelqu’un avait posé un sac bourré d’explosifs derrière le mur sur lequel nous étions adossés. Pour certains plans à Raqqa, nous avons utilisé un drone et il fallait négocier avec la CIA, parce que nous nous trouvions dans la « no-fly zone ». Il fallait « coordonner nos horaires de drones », parce que l’agence en avait un aussi. Dans la région de Deir-Ez-Zor, on nous a avertis que des motocyclistes avaient tendance à suivre les véhicules militaires kurdes et à les mitrailler !…’’
‘’ROJEK’’ , sorti en 2022, a été sélectionné en 2023 pour représenter le Canada dans la course à l’Oscar du meilleur film international. Zaynê Akyol, l’avoue, reste marquée par ses reportages : si sa situation est bonne, elle s’inquiète néanmoins pour son peuple. ‘’ Il y a deux millions de Kurdes qui doivent gérer des milliers d’ex-djihadistes. Les Kurdes ne reçoivent que peu d’aide des pays occidentaux et sont entourés par des gouvernements hostiles. C’est certain que c’est une préoccupation pour moi.’’
André Métayer
Photo : Fred Gervais
Remerciements à Pierre Dubuc directeur et rédacteur en chef de « L’aut’journal »